Cet été, nous partons à la (re)découverte de certains métiers, qu’ils soient méconnus, insolites, ou stéréotypés. Nous tenterons de découvrir toutes les facettes de ceux-ci.
Aujourd’hui, Frank nous parle de la pharmacie industrielle
Puisque les pharmaciens travaillent dans tous les domaines des sciences de la vie, l’impact du « COVID-19 » est très variable : notre travail peut « considérablement augmenter » ou, au contraire, les pharmaciens peuvent connaître une interruption de toutes leurs activités.
Les travailleurs des entreprises pharmaceutiques qui recherchent un vaccin contre le « COVID-19 » ont vu leur masse de travail considérablement croître. Dans ce cas, les pharmaciens sont actifs dans tous les domaines, de la Recherche et Développement à la distribution du médicament aux patients.
La recherche et le développement de nouveaux médicaments est une entreprise extrêmement complexe, qui rassemble les connaissances spécifiques de nombreuses sciences. La pression pour trouver un vaccin est énorme. Le fait que des vaccins aient été trouvés aussi rapidement est donc en soi une incroyable réussite. Le développement d’un nouveau médicament, de la découverte initiale au produit commercialisé, prend en moyenne 10 à 15 ans. Et cela ne porte pas toujours ses fruits. En plus de 30 ans de recherche sur le « VIH », nous n’avons toujours pas trouvé de vaccin. L’année dernière, l’étude Uhambo en Afrique du Sud a été arrêtée, faute d’effets probants. Ce vaccin expérimental contre le « VIH » était le candidat le plus prometteur qui pouvait protéger les personnes en bonne santé contre l’infection par le « VIH », et il est maintenant aussi mis à la poubelle. Ainsi, si nous avons « seulement » quelques mois de retard dans la livraison des vaccins par rapport au calendrier initial, nous pouvons toujours appeler cela un succès.
Pour que l’on puisse être capable de développer un vaccin dans un délai si court, de nombreuses études cliniques ont été interrompues, ce qui a eu un effet sur les centres d’études cliniques. Ainsi, si un groupe a connu une augmentation de son rythme de travail, un autre groupe a connu la situation inverse.
Il faut également préparer la production des vaccins. La qualité d’un médicament est déterminée par quatre éléments importants : l’aspect humain (le personnel), l’aspect matériel (les éléments nécessaires p.ex.), les machines (les installations mécaniques), et la méthode (les processus, les procédures). Tous ces éléments doivent être mis au point pour produire un nouveau vaccin. Il faut également disposer d’assez de temps pour planifier cette production. Par exemple, il n’est pas facile de décider de produire moins de vaccins antigrippaux pour gagner du temps dans la production du vaccin contre le « COVID-19 ». Le Conseil supérieur d’hygiène publique avait déjà émis un avis consultatif, en juin 2020, indiquant que les personnes appartenant à des groupes à risque devraient être vaccinées « plus que jamais » et que les personnes en bonne santé âgées de 50 à 65 ans devraient également être incluses, et ce afin d’éviter que les hôpitaux ne soient envahis par les patients atteints de grippe et du « COVID ».
En guise de solutions, nous pouvons augmenter le nombre d’équipes par jour, remettre en service des installations temporairement inutilisées ou coopérer avec d’autres entreprises (par exemple, des fabricants sous contrat). Et tout ceci doit respecter la législation pharmaceutique très stricte. Par exemple, des études de validation sont nécessaires pour les processus de production, les programmes informatiques, les méthodes de nettoyage, les méthodes d’analyse, tous les ingrédients sont soumis à des tests approfondis de pureté et de contenu et chaque fabricant, de la matière première au dernier composant de l’emballage, doit se soumettre à un processus d’approbation. Cela concerne des centaines voire des milliers de documents.
De nombreux pharmaciens travaillent pour assurer la qualité (Quality Assurance) et pour la contrôler (Quality Control). Ces services garantissent que tous les aspects du développement et de la production soient traçables et correctement documentés. Ils enquêtent sur les éventuelles lacunes et veillent à ce que les quatre éléments importants soient correctement décrits et mis en œuvre, éventuellement avec l’adaptation et l’élaboration de procédures, de spécifications matérielles, de méthodes, etc. La « personne compétente », anciennement « pharmacien de l’industrie », est la personne qui est autorisée à mettre les médicaments sur le marché. Il s’agit d’une responsabilité gigantesque, car de nombreuses vies humaines sont en jeu. Il suffit de penser à ce qui pourrait arriver si certains solvants de vaccins n’étaient pas stériles.
Chaque médicament, y compris les vaccins, doit être enregistré par le gouvernement concerné avant de pouvoir être commercialisé. Là encore, on fait appel à de nombreux pharmaciens, dans ce que l’on appelle les « Affaires réglementaires » (Regulatory Affairs). Ils préparent les dossiers d’enregistrement pour le gouvernement. Aujourd’hui, tout se fait par voie électronique, mais pour vous donner une idée de la documentation requise : dans le passé, les documents étaient parfois livrés sur des palettes pour être analysés. Un dossier d’enregistrement contient toutes les informations concernant le produit telles que les matières premières, les méthodes de production et d’analyse, la validation, les études de stabilité à différentes températures, les effets secondaires observés lors des essais cliniques… Les documents doivent non seulement être fournis, mais aussi évalués par les autorités. Ici, tous les pharmaciens sont concernés.
Les vaccins doivent parvenir correctement au patient. Ainsi, le vaccin Pfizer doit être conservé à – 80 °C. C’était difficile, car il s’agit du premier vaccin humain à devoir être conservé à une température aussi basse. En Belgique, cela ne pose pas de gros problèmes, puisque les distances sont limitées, et nous disposons d’une réseau étendu de conservation et de distribution pharmaceutique. Mais une distribution à – 80°C, c’est une première mondiale, c’est donc synonyme de travail supplémentaire.
Les autres entreprises qui ont vu leur charge de travail augmenter considérablement sont les laboratoires cliniques (qui effectuent les tests du coronavirus), les producteurs d’oxygène médical, les fournisseurs de concentrateurs d’oxygène et de flacons d’oxygène liquide pour l’oxygénothérapie dans les hôpitaux et chez les patients à domicile.
Un certain nombre de pharmaciens travaillent comme consultants (free-lances) dans des entreprises pharmaceutiques, et ils sont très touchés, tant en positif qu’en négatif. Certains consultants ont vu leurs projets être mis en attente, tandis que d’autres ont connu une augmentation de leur travail de 50 %. Les réunions en ligne ont l’avantage de limiter les déplacements, mais augmentent fortement la masse de travail. En tant que consultant, vous devez travailler sur différents projets dans différentes entreprises en même temps. Avant le coronavirus, le planning était bien plus simple : soit vous étiez chez un client, ou à un séminaire, ou vous travailliez de chez vous pour écrire des rapports ou des publications. Désormais, chaque client programme des réunions en ligne, avec une présentation ou une formation en ligne entre les deux, ce qui peut signifier huit heures de réunions par jour pour une ou plusieurs entreprises. Il faut donc écrire les rapports ou suivre les actions le soir ou le week-end. Le trafic des courriers électroniques a également énormément augmenté, avec des mails le samedi et le dimanche pour rappeler les deadlines du lundi. La barrière entre la vie privée et la vie professionnelle a complètement disparu pour certains d’entre nous.
Pour les pharmaciens de l’industrie, il n’y a pas de formation continue obligatoire avec un système de points comme pour les pharmaciens d’officine. C’est logique étant donné le nombre de domaines dans lesquels ils doivent travailler. Les entreprises ont beaucoup travaillé sur les politiques, les lignes directrices et la formation au début de la pandémie dans le but d’éviter les infections au coronavirus. Pour obtenir et conserver une licence, les entreprises pharmaceutiques doivent disposer d’un système de qualité à part entière, dans lequel l’éducation et la formation continues constituent une composante importante. La formation continue, qui suit judicieusement les évolutions de l’entreprise, de la législation, de la science et de la technologie, est garantie.
Un certain nombre de fonctions spécifiques ont été déterminées par la loi, comme :
- La Personne qualifiée (Qualified Person, « QP ») pour la fabrication et le contrôle des médicaments
- La Personne qualifiée pour la pharmacovigilance (« QPPV ») pour le suivi des effets secondaires des médicaments
- Le Responsable de l’information pharmaceutique (« RIP »)
- La Personne responsable (« VP ») de la conservation et de la distribution des médicaments.
La législation sur la distribution pharmaceutique impose au « VP » de suivre une formation régulière, et « l’UPIP-VAPI » organise des formations de certification à cet effet. Avant le coronavirus, celles-ci se déroulaient toujours sur place, avec une visite guidée dans une entreprise pharmaceutique ou de distribution, mais elles ont lieu maintenant entièrement en ligne.
En général, les cours proposés sont restés les mêmes, mais ils se déroulent désormais en ligne. Des webinaires gratuits sont désormais également proposés, par exemple par l’intermédiaire du Groupement des pharmaciens de l’Industrie en Europe (« GPIE »), notre association coupole représentant 10 000 pharmaciens travaillant dans l’industrie européenne. L’année dernière, « l’UPIP-VAPI » a également fondé la QP Academy, une série de leçons en ligne, spécifiquement pour les Personnes qualifiées (« QPs »). L’impossibilité d’organiser des activités normales, mais aussi le besoin de formations professionnelles pour nos membres, ont accéléré la création de la QP Academy.
Frank est candidat à l’obtention du titre et de l’insigne de Lauréat du Travail du secteur « Pharmacien·ne·s et Assistant·e·s pharmaceutico‑techniques »